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CONCURRENCE DELOYALE ET VIE PRIVEE

On sait qu’en matière de concurrence déloyale, le plus difficile est de rapporter la preuve des agissements déloyaux.

Le recours à un enquêteur privé est possible mais le résultat est aléatoire et pas toujours satisfaisant lorsque le but est de saisir ensuite les Tribunaux (cf. jurisprudence sur la valeur probante d’un rapport d’un enquêteur privé).

Le plus efficace est de mettre en œuvre les dispositions de l’Article 145 du Code de Procédure Civile qui dispose :

« S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Sur le fondement de ce texte, le Juge peut ordonner toute mesure probatoire utile sous réserve qu’elle soit prévue au Code de Procédure Civile.

En outre, s’il existe des raisons de ne pas appeler la partie adverse à la discussion, le Juge peut statuer sans débat contradictoire préalable (procédure sur requête prévue à l’Article 493 du Code de Procédure Civile). Cette partie adverse ne sera informée de la mise en œuvre d’une telle mesure d’instruction que lorsque celle-ci lui sera dénoncée par huissier, c’est-à-dire en pratique au moment où elle est exécutée. On comprend bien l’intérêt de cet effet de surprise lorsqu’il s’agit d’établir ou de conserver des preuves du comportement déloyal d’un concurrent.

L’une des mesures fréquemment ordonnées par le Juge est la mesure de constat.

Un huissier est désigné par le Juge à l’effet de procéder à un certain nombre de constatations. Celui-ci ne pouvant se transformer en « enquêteur », sa mission doit être circonscrite et définie avec précision par le demandeur à la mesure.

Traditionnellement, l’huissier prenait connaissance de documents sous forme papier et s’en faisait remettre la copie.

Aujourd’hui, la plupart de ces documents sont dématérialisés, notamment les correspondances qui sont quasi-systématiquement électroniques.

Aussi, pour être efficace, une mesure de constat doit porter sur les informations contenues dans les ordinateurs de la partie adverse avec la difficulté pratique que l’huissier constatant n’est pas informaticien, ni enquêteur.

Pour anticiper cette difficulté, il faut demander au Juge l’autorisation pour l’huissier de se faire assister par un informaticien et circonscrire la recherche à des documents précis et/ou contenant des mots-clés soigneusement choisis.

Toutes ces règles sont assez bien connues des praticiens et, au fil du temps, des opérateurs économiques.

Certains, parmi ces derniers, ont très vite compris que le système informatique de l’entreprise n’était pas un sanctuaire, ni un obstacle technique insurmontable susceptible de les mettre à l’abri de toute recherche de preuves.

C’est pourquoi, il est tentant d’utiliser ses outils informatiques personnels pour dissimuler des éléments, ce qui présente en outre l’attrait de pouvoir opposer le droit au respect de la vie privée à une partie jugée trop entreprenante.

Mais il faut savoir que ces outils personnels ne sont pas non plus à l’abri d’une mesure probatoire.

Ainsi, dans une affaire récente où un ancien salarié avait utilisé sa messagerie personnelle pour y recevoir des courriels professionnels en lien avec les griefs de concurrence déloyale qui lui étaient faits, et s’était opposé à la mesure d’instruction en arguant du respect dû à sa vie privée, la Cour de Cassation (Cass.com 20 septembre 2017, n°16-13082) a jugé :

«Mais attendu que la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que le respect de la vie privée ne constituait pas, en lui-même, un obstacle à l'application de l'article 145 du code de procédure civile, dès lors que la mesure ordonnée reposait sur un motif légitime et était nécessaire et proportionnée à la protection des droits du requérant ; qu'ayant relevé que la mission confiée à l'huissier de justice visait à constater la présence, sur la messagerie personnelle de M. X..., de courriels en rapport avec l'activité de concurrence déloyale dénoncée et que la recherche avait été limitée aux fichiers, documents, et correspondances en rapport avec les faits litigieux et comportant des mots-clés précisément énumérés, elle en a exactement déduit que la mesure ordonnée, circonscrite dans son objet, était légalement admissible au sens de l'article 145 du Code de Procédure Civile ; que le moyen n'est pas fondé ; »

Et au même salarié qui soutenait qu’il n’existait aucune raison d’ordonner une mesure de constat sur sa messagerie personnelle sans débat contradictoire préalable, la Cour de Cassation répond :

« Mais attendu qu’ayant relevé que l’ordonnance avait repris la motivation de la requête aux termes de laquelle il était exposé que M. [X] s’était organisé pour que les éléments susceptibles de révéler ses agissements et/ou ceux de sa société ne soient pas présents et/ou accessibles sur les équipements informatiques de la société [Y] qui avaient fait l’objet d’une précédente mesure probatoire, mais sur ses équipements personnels et qu’il s’agissait là de manœuvres évidentes de dissimulation et de soustraction, c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit l’existence dans la requête de circonstances justifiant qu’il soit dérogé au principe du contradictoire. »

Cette décision témoigne du pragmatisme de la Cour de Cassation en matière de concurrence déloyale où la démonstration de la preuve est souvent un exercice délicat.

En définitive, le salarié qui avait cru pouvoir dissimuler ses agissements en se retranchant derrière le respect dû à sa vie privée s’expose désormais à la sanction prévue à l’article 11, alinéa 1er du Code de Procédure Civile :

« Les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus… »

 

 


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