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Les cantines scolaires peuvent-elles renoncer à proposer des menus de substitution ?

Les cantines scolaires semblent avoir véritablement commencé à se développer à la fin du XIXème siècle à l’initiative des communes, des associations et parfois même des particuliers.

 Si, au fil des années, le nombre de cantines scolaires (et d’usagers de ce service) n’a cessé de se renforcer (aujourd’hui environ deux enfants sur trois seraient inscrits à la cantine), il convient de rappeler que la création d’un tel service n’est, en ce qui concerne les élèves de l’enseignement primaire, toujours pas obligatoire.

 Le caractère facultatif de ce service public implique que les communes sont libres de décider de sa création et de sa suppression, à condition simplement de justifier que leur décision est prise pour un motif d’intérêt général (qui peut par exemple être tiré de simples considérations financières) et sur lequel le Juge n’exercera qu’un contrôle restreint (voir en ce sens : CE 14 oct. 1992, Commune de Lancrans n°76497).

 Dans ces conditions, il semble cohérent que les communes disposent également de « larges pouvoirs » dans la définition des règles d’organisation du service, sous réserve toutefois du respect du principe d'égalité de traitement des usagers devant le service public.

 Cela paraît d’autant plus logique lorsque la fréquentation des cantines scolaires est facultative, les parents d’élèves étant libres d’y inscrire leur enfant ou non.

 Dans ce contexte, l’arrêt récemment rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon interpelle (CAA Lyon, 23 octobre 2018, Commune de Chalon-sur-Saône, n°17LY03323 et 17LY03328).

 Dans cette affaire, l’association « Ligue de défense judiciaire des musulmans » sollicitait l’annulation d’une délibération du Conseil municipal de Chalon-sur-Saône modifiant le règlement intérieur des restaurants scolaires pour n’y proposer plus qu’un seul type de repas.

 La cour annule la délibération en rappelant que les principes de laïcité et de neutralité du service public ne peuvent, à eux seuls, justifier qu'il soit mis fin à la pratique des menus de substitution.

 Cette solution n’est pas nouvelle, le Conseil d’Etat ayant déjà eu l’occasion d’affirmer que la prise en compte d’exigences religieuses ne traduisait pas une atteinte au principe de laïcité (par exemple en jugeant non discriminatoire le règlement d’une cantine prévoyant que les menus ne comportent pas de viande le vendredi - Juge des référés du CE, 25 octobre 2002, Mme R…, n° 251161).

 Toutefois, la commune de Chalon-sur-Saône soutenait aussi que sa délibération était justifiée par les « contraintes matérielles d’organisation du service public municipal de la restauration scolaire » qu’impliquait la réalisation de menus de substitution.

 Il constant, comme le rappelle d’ailleurs la Cour administrative d’appel de Lyon, que le gestionnaire d’un service public administratif facultatif dispose « de larges pouvoirs d’organisation » et peut décider d’en modifier les modalités d’organisation pour « des motifs en rapport avec les nécessités de ce service ».

 En l’espèce, dès lors que l’existence de plats de substitution servis dans les cantines constitue un élément de l'organisation du service public et qu’il parait incontestable que la mise en œuvre d’une telle pratique engendre des contraintes supplémentaires importantes (gestion de commandes et de stocks supplémentaires, préparation des repas, identification des élèves auquel il convient de proposer les menus de substitution…), on pouvait s’attendre à ce que la Cour admette la régularité de la décision.

Il n’en sera rien, les Juges d’appel ayant au contraire considéré « qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que, pendant les trente et une années qu’elle a duré, cette pratique aurait provoqué des troubles à l’ordre public ou été à l’origine de difficultés particulières en ce qui concerne l’organisation et la gestion du service public de la restauration scolaire ».

 Cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon dénote d’un renforcement important du pouvoir de contrôle du Juge sur les motifs justifiant une modification des conditions d’organisation d’un service public facultatif.

Pour modifier l’organisation du service public, il ne suffirait donc plus de justifier de motifs en rapport avec les nécessités de ce service, les gestionnaires devant désormais démontrer que la modification envisagée a pour objet de remédier à des « troubles à l’ordre public » ou à des « difficultés particulières ».

Dans ces conditions, on peut se demander ce qu’il reste des « larges pouvoirs d’organisation » dont bénéficient les gestionnaires de cantines scolaires…

 

 

Gabriel DURAND

Avocat à la Cour

 


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