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Pour le Journal Le Monde, « La loi autorise les mères voilées en sorties scolaires ». Pas si sûr…

La diffusion récente d’une vidéo montrant un élu local prendre à partie une femme voilée accompagnant un groupe d’écoliers a fait naître une énième polémique sur la laïcité à l’école.

 Une partie de la classe politique a désapprouvé la présence de mères voilées dans le cadre scolaire et a réclamé « l’application de la loi ».  

C’est dans ce contexte que le Journal Le Monde a publié, le 14 octobre dernier, un article affirmant que : « La loi autorise les mères voilées en sorties scolaires […] » ( https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/10/14/la-loi-autorise-les-meres-voilees-en-sorties-scolaires-contrairement-a-ce-qu-insinue-christian-jacob_6015465_4355770.html ).

 Pour soutenir ce postulat, l’article rappelle que la loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles est applicable uniquement aux élèves.

 Effectivement, cette loi interdit aux élèves de porter des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, et les parents sont donc libres de venir chercher leurs enfants en portant un voile ou en arborant n’importe quel autre signe religieux.

 Mais le problème est ailleurs.

 Il est ici question de parents d’élèves accompagnant un groupe d’écoliers à l’occasion de sorties scolaires.

 Or, lorsqu’un parent participe à une sortie scolaire, il semble qu’il devienne un « collaborateur occasionnel du service public » en raison du concours qu'il offre au fonctionnement du service public de l'éducation.

 Cela a d’ailleurs déjà été jugé par le Conseil d’Etat qui a qualifié « de collaborateur occasionnel du service public » une personne sollicitée pour encadrer une sortie scolaire (CE 13 janvier 1993, n°63044).

 La question qui se pose est donc de savoir si un « collaborateur occasionnel du service public » (et non un parent d’élève) doit respecter le principe de laïcité.

Contrairement à ce qu’affirme le journal Le Monde, la loi est muette sur ce sujet et cela a d’ailleurs conduit les juridictions administratives à adopter des positions très différentes.

 Ainsi, en 2011, le Tribunal administratif de Montreuil a pu juger que le règlement intérieur d’une école élémentaire pouvait régulièrement prévoir que « les parents volontaires pour accompagner les sorties scolaires doivent respecter dans leur tenue et leurs propos la neutralité de l'école laïque » (TA Montreuil, 22 nov. 2011, n° 1012015). Les Juges ont donc considéré que le principe de laïcité de l'enseignement public s'imposait à toute personne intervenant auprès des élèves.

 Quelques années plus tard, le Tribunal administratif de Nice a adopté une position opposée après avoir -curieusement- considéré le parent accompagnateur comme un simple « usager » du service public de l’éducation (TA Nice, 9 juin 2015, n° 1305386). Cette position est discutable car elle revient à ne pas prendre en compte la spécificité du rôle du « parent accompagnateur », lequel est en contact direct avec des enfants (qui sont par essence vulnérables et influençables) pour les « encadrer » (ce qui signifie qu’il a sur les enfants un minimum de pouvoir de direction et d’éducation).

Enfin, plus récemment, la Cour administrative d’appel de Lyon a jugé que les parents d'élèves étaient tenus, à l'instar des enseignants, au respect du principe de neutralité lorsqu’ils « se livrent [à l’intérieur des classes] à des activités assimilables à des activités d'enseignement ».

 

Ainsi, contrairement à ce que croit pouvoir affirmer le Journal Le Monde, la législation est loin d’être « claire » sur une éventuelle obligation des parents qui participent au service public de l’éducation de respecter le principe de neutralité.

La réponse à cette question, à défaut d’être apportée par le législateur, pourra être donnée par les Juges du Palais Royal lesquels ont -déjà- émis quelques incertitudes en reconnaissant que « les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l'éducation peuvent conduire l'autorité compétente, s'agissant des parents d'élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s'abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses » (Etude adoptée par l’assemblée générale du Conseil d’Etat le 19 décembre 2013).

 

 

Gabriel DURAND

Avocat à la Cour d’appel de Paris


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